mercredi 2 octobre 2013

8) La ville secrète par Sofian B. (version rédigée)


Paris est une ville dont on pourrait, comme le firent les Grecs avec Athènes, parler au pluriel, car il existe de nombreux Paris ; et le Paris des touristes n'a qu'une relation superficielle avec le Paris des Parisiens. Un étranger qui traverse la ville en voiture ou en autobus et qui passe d’un musée à l’autre, n’a pas la moindre idée de ce monde qu’il ne voit pas, quoiqu’il se trouve[1] juste dedans.
Personne ne peut alléguer connaître une ville sans y avoir perdu son temps. L’âme d’une grande ville ne se laisse pas comprendre si facilement. Afin de vraiment se familiariser[2] avec elle, il faut qu’on s’y soit[3] ennuyé et qu’on y ait souffert. Naturellement, tout le monde peut se procurer un guide et constater que tous les monuments qui y sont indiqués sont là. Mais dans les limites de Paris se cache une autre ville qui est aussi difficilement accessible que l’était Tombouctou à l’époque.
Les Parisiens connaissent très bien cette ville – que j’appelle la ville secrète, car elle est inaccessible aux étrangers – et ils la trouvent absolument naturelle. Ainsi, ils n’ont même pas l’idée d’en parler – hormis les écrivains et poètes dont la tâche est justement d’observer la ville avec des yeux nouveaux, comme si c’était la première fois, tandis que nous, nous la voyons sans faire attention. Mais même les écrivains n’arrivent pas toujours à nous transmettre précisément ce qu’ils ont découvert.
Paris ne se révèle pas à ces gens qui sont pressés, je l’ai déjà dit. Cette ville appartient aux rêveurs ; à ceux qui savent s’amuser dans les rues sans regarder l’heure, même si d’urgentes affaires les attendent ailleurs. Ils verront, ce que d’autres ne verront jamais, et cela sera leur récompense. En outre, Paris a la particularité de se montrer mieux la nuit que la journée. On pourrait penser qu’elle attend jusqu’à ce que tout dorme.

[selon Julien Green, tiré de Paris, 1983]

Ce côté « mystérieux » que décrit Green se trouve déjà dans les écrits de Baudelaire et, plus tard, de Simenon, qui thématisent beaucoup ce qui est apparu avec le modernisme : l’anonymat dans les grandes villes. Il y avait soudainement beaucoup de gens que l’on ne connaissait pas, des quartiers auxquels on n’avait pas de rapport – l’être humain ainsi que l'espace urbain et son usager, sont devenus anonymes. Vivre à Paris ne voulait plus dire connaître Paris. Pour connaître Paris il fallait sortir de la vie quotidienne et plonger dans la vie de la ville – y perdre son temps et s’ennuyer, afin de se rendre compte des détails de la vie parisienne.

Sur Green:

Julian Green, rebaptisé en Julien Green, fut d’origine américaine et vécut de 1900 à 1998, majoritairement en France. Après la mort de sa mère il décida de suivre la religion de son père, et devint catholique pratiquant. Ceci pourrait se justifier en regardant sa vie : à l’âge de 17 ans il fut mobilisé pour la première guerre mondiale ; or, après deux années de service il fut déjà démobilisé. Sa vie en tant que civil ne durait que jusqu’à l’éruption de la Seconde Guerre Mondiale où il fut à nouveau mobilisé.
Ses écrits traitent surtout de problèmes de la foi et de la religion, mais aussi de l’hypocrisie qui leur est liée. Presque en contradiction à sa foi se trouve le fait que Green fut homosexuel – un sujet qui avait aussi une grande influence sur son œuvre.


[Sofian Bouaouina]


[1] Ici on utilise le subjonctif; règle: les propositions subordonnées circonstancielles sont souvent utilisées avec un subjonctif. Les locutions qui demandent un subjonctif sont clairement définies ; l'une d’entre elles est « quoique » qui introduit une circonstancielle de concession.
[2] Dans les propositions subordonnées circonstancielles de but, nous pouvons utiliser « afin de » + infinitif au lieu de « afin que » + subjonctif lorsque les deux propositions ont le même sujet (ici : on).
[3] « il faut que… » + subjonctif: les expressions impersonnelles dans les propositions subordonnées complétives demandent toujours un subjonctif.

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