Source : http://www.youtube.com/watch?v=ZJ_3MUvtEkU (archives de l’INA :
Institut National de l’Audiovisuel)
Synthèse :
Habib Bourguiba, meneur de la
lutte pour l’indépendance de la Tunisie, est interviewé lors de son premier
voyage officiel en France après l’indépendance tunisienne par un journaliste
français. L’intervieweur (dont le nom semble introuvable sur internet) lui
pose trois questions principales : premièrement, il veut connaître les
principes qui ont guidé Bourguiba à travers sa lutte pour l’indépendance
tunisienne; par la suite, il s’intéresse à la manière de laquelle Habib
Bourguiba avait agi. Enchaînant sur cela, l’intervieweur demande à son
interlocuteur la valeur qu’a son voyage pour lui, comme il s’agit de son premier
voyage officiel. Pour conclure, il lui pose une question sur les problèmes auxquels la Tunisie doit faire face au moment où a lieu l'interview.
Bourguiba insiste sur le fait que la France a toujours été là pour aider la Tunisie. Cela nous frappe, puisque nous savons que la Tunisie avait été colonisée par ce pays. Il est
alors assez stratégique de la part de Bourguiba de dire qu'il n'accuse pas la France, mais, au contraire, de propager l'idée flatteuse pour la France. En oubliant une évidence historique, il compte retourner à l'avantage de son pays la relation de soumission politique face à la France dans laquelle s'était trouvée la Tunisie.
J’ai
choisi cette interview, parce que le président Bourguiba était un grand rhétoricien.
L’analyse d’un de ses discours ou d’une interview avec lui est donc fortement
intéressante. Au moment où fut conduit l’interview ci-analysée, la Tunisie se
trouvait encore à son début et Bourguiba se vit alors dans la position de
devoir constituer un réseau politique et économique en faveur de la Tunisie.
Or, cela est très important pour sa manière de parler, pour le contenu de ses
paroles : il doit propager, en répondant aux questions de son
interlocuteur, ses points de vu politiques.
Je ne fonde
mon analyse non seulement sur sa façon de parler, sur son intonation, ses
pauses, mais aussi sur sa gestuelle, Bourguiba étant un personnage qui devait
motiver de vastes foules en parlant, d’où le fait qu’il souligne ses paroles
par des gestes assez forts et clairs.
Typologie
Quant à la typologie, l’interview participe deux typologies différentes. Il s’agit certainement d’une interview
narrative qui sert à transmettre une vision de l'histoire que Bourguiba veut faire partager à un plus
grand public. De plus, Habib Bourguiba se sert de cette occasion où il a la parole et peut s'adresser à un nombreux public pour formuler et défendre sa
politique dite "bilatérale", qui se fonde sur une forte amitié entre la Tunisie
et la France. De ce point de vu, il s’agirait d’une interview argumentative.
Transcription
Analyses
Analyse I
En regardant l’interview en question, nous
réalisons assez facilement que le discours de Habib Bourguiba semble être
construit sur place, tandis que les questions que lui pose l’intervieweur
montrent en grande partie les qualités d’un discours Formal Spoken (cf. Akinnaso : 1985) ; il s’agit d’un
discours oral, mais qui fait preuve de qualités qui désignent l’écrit, c’est
donc une sorte d’écrit oralisé. Nous remarquons cela en regardant surtout les
pauses et les recherches de vocabulaires que fait (ou justement, ne fait pas)
l’intervieweur. Ainsi, dans les lignes 1-5, la plus longue pause qu’il fait est
d’une duré d’à peu près 0.6 secondes ; ces pauses qu’il fait lui servent,
dans deux cas (marqué par ‘h) d’aspirer de l’air (l. 2 et 4). Dans la ligne 3
il fait deux pauses, précédées d’intonations qui semblent forcées. Une
explication possible pour cela est une nervosité potentielle du côté de l’intervieweur
qui le pousse à prendre l’air à des moments non naturels, ce qui, en revanche,
le pousse à faire des intonations maladroites. Qui plus est, entre
« durant le long combat etc. » et « monsieur le président » (qui
est la formule d’appel au début de l’interview ; l. 1), il fait un
enchaînement rapide qui ne semble pas être bien placé non plus : le propos
« monsieur le président » a ici la fonction de formule d’appel après
laquelle devrait s’enchaîner une courte pause et qui devrait se terminer par
une intonation descendante (\). Or, l’intervieweur enchaîne directement, ce qui
pourrait, à nouveau, désigner sa nervosité. Il s’ajoute à cela que nous ne
trouvons pas de recherches lexicales dans les premières cinq lignes. Les
mauvaises intonations ainsi que cet enchaînement trop rapide sont des indices
qui nous mènent vers la confirmation de notre thèse qu’il a préparé cette
question (et qu’il l’a sous ses yeux en forme écrite).
Cependant, si nous regardons les réponses du
président Bourguiba, nous réalisons qu’il fait déjà beaucoup plus de pauses et
qu’il utilise, afin de combler certaines pauses potentielles, la locution
« n’est-ce pas ». Dans les lignes 6 et 7 nous voyons comment il forge
sa phrase : sujet – pause – verbe – pause – objet. Typiquement, après
avoir dit de ce dont il s’agit, il a une petite pause pour trouver le bon verbe
qui exprime bien ce qu’il veut dire. En suite, une pause plus longue lui sert à
formuler les propos pour dire dans quoi se trouvait la force de son parti. Ce qui
nous frappe fortement, c’est une très longue pause qu’il fait à la ligne 12. Il
est très probable que pendant cette pause il cherche à souligner son point sur
la propagande (recherche lexicale dans le but d’accentuer du déjà-dit). Une
autre séquence de l’interview montre même mieux à quel point que Bourguiba
construit son discours sur-scène : entre les lignes 49 et 57 il y a un
vaste nombre de pauses et d’intonations montantes. L’accumulation des pauses
est signe du fait qu’il prend son temps à formuler ce qu’il veut dire afin de
répondre aux questions ; et les intonations montantes (qui sont –
ordinairement – des marques de fin d’énoncé) nous montrent qu’il termine son
tour de parole plusieurs fois, puis le reprend en ajoutant des idées.
Analyse II
D’un point de vue sociolinguistique il est
très intéressant de voir la relation entre les gestes et les paroles de
Bourguiba. Il a la tendance de souligner ses paroles par des gestes, qu’il fait
surtout de la main gauche, dans cette interview en question. Cela se voit
spécifiquement à la ligne 12, où il montre sa bouche par la main ; aux
lignes 23, 28, 32 etc. La gestuelle qu’il fait à la ligne 32 est intéressante,
car il l’utilise pour marquer sa persévérance ; il s’agit d’un signal que
l’on fait souvent pour marquer un point, pour dire que c’est ainsi et qu’il n’y
a pas d’autre solution. Cela rend donc ses paroles encore plus fortes : ce
n’est pas seulement qu’il continuait toujours à combattre, mais il nous
communique que c’était, pour lui, la seule option, de revenir, que c’était
naturel. De surcroît, à la ligne 54, il renforce le mot « lever » par
le geste de lever sa main (plante en haut) vers le haut. Nous pouvons nous
demander sur l’origine ou plutôt la cause pour ce fort emploi de ses mains. Il
semble être une hypothèse assez plausible de dire que lors des discours qu’a
menés Bourguiba pendant la libération de la Tunisie, pour motiver la population
tunisienne à le soutenir, il fallait être très expressif et compréhensible pour
tout le monde. Comme la télévision n’existait pas encore, il y avait des
situations où un nombre assez grand de gens l’entendaient parler – il fallait
alors soutenir ce qu’on disait par des signes des mains afin que même ceux qui
n’entendaient pas tout, pouvaient percevoir ce qu’il disait.
Explications/ recherches/ interprétations
Recherche I
Bourguiba semble abuser de la locution « n’est-ce
pas » qu’il répète dans presque chaque phrase. Or, ce « n’est-ce
pas » bourguibien, n’a pas la fonction ordinaire de cette locution – qui
serait de poser une question qui demande une validation de ce que l’on vient de
dire, comme il est le cas dans la phrase « Il vient de partir, n’est-ce
pas ? ». Dans cet exemple, la locution « n’est-ce pas » est
formulée en tant que question afin de demander à l’interlocuteur la
confirmation de l’énonciation « il vient de partir ». On veut donc
savoir si l’on avait raison dans la supposition que « il » venait de
partir. Au contraire, dans le cas du « n’est-ce pas » bourguibien il
s’agit d’une locution que Bourguiba traduit de l’arabe au français (fi ettahassal maânaha, littéralement « c’est-à-dire »).
Nous pouvons dire cela si nous regardons ses discours menés en langue arabe où
il répète fi ettahassal maânaha aux
mêmes endroits de la syntaxe que le « n’est-ce pas ». En outre, dans ces
mêmes discours, le « c’est-à-dire » occupe la même fonction que le
« n’est-ce pas » qui sert, premièrement, à accentuer ce qui vient
d’être dit, et, deuxièmement, à combler une recherche lexicale.
Recherche II
L’interview ne montre que peu de chevauchements.
Cela est probablement dû au fait que les stratégies discursives utilisées par
Bourguiba, ainsi que par l’intervieweur, étaient les mêmes. Cela est important
surtout au niveau des présupposés, des attentes par rapport à la structure de l’activité.
Comme les interlocuteurs perçoivent la situation de la même manière (quelqu’un
pose les questions et l’autre y répond), il n’y a que peu de moments où ils se
chevauchent.
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